L’eau. L’autre enjeu de la guerre en Ukraine. Entretien avec Franck Galland

27 février 2022

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Kakhovka hydroelectric station, Nova Kakhovka, Kherson Oblast, Ukraine (c) Wikicommons

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L’eau. L’autre enjeu de la guerre en Ukraine. Entretien avec Franck Galland

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L’eau potable, comme la question des vivres, est un sujet primordial, bien que souvent négligé dans l’analyse des conflits armés. Cette ressource qui nous paraît si abondante et facile d’accès dans le monde occidental n’est pas une réalité pour tous. Ce sont des défis auxquels les stratèges Russes comme Ukrainiens vont devoir résoudre tout au long de cette guerre. Décryptage avec Franck Galland, spécialiste des questions sécuritaires liées aux ressources en eau.

Franck Galland dirige Environmental Emergency & Security Services, (ES)², cabinet d’ingénierie-conseil spécialisé́ en résilience urbaine. Chercheur associé à Fondation pour la Recherche Stratégique, son dernier ouvrage, paru en mars 2021 chez Robert Laffont, est intitulé Guerre et eau. L’eau enjeu stratégique des conflits modernes.

Propos recueillis par Benoist Malcoste.

Quelles ont été les conséquences de l’annexion de la Crimée en 2014 sur l’approvisionnement en eau de la région ? Il y avait-il avant la guerre des projets pour alimenter la Crimée en eau ?

À la suite du référendum du 16 mars 2014, approuvant à 97% le rattachement de la Crimée à la Russie – évidemment non reconnu par l’Ukraine – Kiev a voulu, en mesure de rétorsion, utiliser l’arme de l’eau pour se défendre. Aussi, dès avril 2014, le pouvoir ukrainien a ordonné de réduire petit à petit le débit du Canal Nord de Crimée, jusqu’à sa fermeture complète par la construction d’un barrage à 70 km à l’intérieur des terres. Les conséquences de cette décision ont été progressives puis définitives pour l’alimentation en eau de la Crimée, qui ne pouvait ainsi plus compter sur cette artère fémorale, construite entre 1961 et 1971 par les Soviétiques, pour amener l’eau du Dniepr en Crimée. Avant l’intervention des Russes en 2014, cette infrastructure vitale pourvoyait à 85% des besoins en eau de la Crimée, dont les consommations se répartissaient à 80% pour le secteur agricole et 20% pour l’eau à vocation domestique.

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Dès le premier jour de l’offensive russe en Crimée le 24 février 2022, l’armée russe annonce avoir débloqué le canal qui relie le Dniepr à la Crimée. Cela va-t-il avoir des répercussions stratégiques ou tout simplement logistiques dans le déroulement des opérations que ce soit du côté ukrainien comme russe ?

Le Canal Nord fait clairement partie des objectifs stratégiques de l’offensive militaire russe sur la partie méridionale de l’Ukraine. Pour preuve : le barrage construit par les Ukrainiens a été détruit par le Génie militaire russe. Une vidéo a été mise en ligne samedi 26 février par la chaîne de télévision pro-russe RT sur cette destruction, signifiant par là même que l’eau coulait à nouveau dans le Canal vers la Crimée.

Les unités russes voudront également aller a minima jusqu’aux rives du Dniepr et prendre le contrôle du réservoir de Kakhovka, qui est cette retenue d’eau brute en amont du Canal Nord, rempli entre 1955 et 1958. Il s’agira également pour elles d’occuper militairement l’usine hydro-électrique de Kakhovka, qui régule en eau d’irrigation et fournit en électricité tout le sud-est de l’Ukraine. Son importance stratégique lui vaut d’être protégée en permanence par la Garde nationale ukrainienne.

Comment Ukrainiens et Russes approvisionnent leurs armées sur le front ? Rencontrent-ils des difficultés logistiques majeures ?

La logistique est la reine des batailles. Elle jouera également un rôle majeur dans le conflit de haute intensité qui sévit en Ukraine. Dans la manœuvre militaire, conçue de longue date par le Kremlin, il est pour moi plus qu’évident que l’armée russe a prévu les quantités nécessaires d’essence, de munitions et de vivres pour ses unités en déploiement.

Pour ce qui de l’eau potable, cette recherche d’autonomie stratégique est la même. Pour une phase d’engagement, en milieu tempéré, il faut compter sur 10 L/homme/jour. Ces quantités destinées à l’eau de boisson peuvent être distribuées en bouteille ou en vrac, à partir d’une mise à disposition sur des points de remplissage. L’eau stockée est produite à partir d’unités mobiles de traitement, selon des normes de potabilisation strictes.

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Depuis janvier 2014, l’OTAN dispose de ce point de vue de son propre guide, le STANAG 2136, sur « les exigences en matière de potabilité de l’eau au cours d’opérations en campagne et dans des situations d’urgence ».

À la vue des premières cartes de l’avancée russe en Ukraine, la stratégie du Kremlin semble avoir pour objectif de couper l’Ukraine en deux en suivant le cours du Dniepr. Comment l’armée ukrainienne pourrait-elle s’alimenter en eau dans l’hypothèse que l’Est soit coupé de l’Ouest ?

Effectivement, le Dniepr me semble clairement, en première analyse, la frontière recherchée par la Russie, lui permettant d’occuper tout l’Est et une partie du sud de l’Ukraine. Ses offensives militaires le montrent, tant au Nord, au Sud et à l’Est du fleuve.

Si elle parvient à ce découpage territorial, fondé sur un véritable « mur » hydraulique pour rappeler la division Est-Ouest de Berlin, la Russie sera en position hydro-dominante. Elle maîtrisera « la houille blanche », désignant l’utilisation de l’énergie hydroélectrique par analogie avec le charbon, l’irrigation vers les plaines fertiles, ainsi que l’alimentation en eau des populations.

La question de l’eau potable est un sujet vital dans le déroulement des opérations. Y a-t-il des opérations de sabotage ou d’empoisonnement des sources d’eau potable en territoire ukrainien ?

Nous n’avons pas assez de recul à ce stade, mais il apparaît certain que les forces russes ne doivent pas compter sur les systèmes d’alimentation en eau municipaux ukrainiens. Ceux-ci sont – ou seront – endommagés, car victimes directes ou collatérales du conflit, ou sans capacité de fonctionner faute d’électricité, ou bien encore victimes d’actions malveillantes (sabotage, empoisonnement …) suivant en cela une logique de guérilla urbaine qui va s’installer, car les Ukrainiens s’inscrivent dans un mouvement général de résistance contre cette invasion.

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Photo : Kakhovka hydroelectric station, Nova Kakhovka, Kherson Oblast, Ukraine (c) Wikicommons

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Franck Galland dirige Environmental Emergency & Security Services, (ES)², cabinet d’ingénierie-conseil spécialisé́ en résilience urbaine. Chercheur associé à Fondation pour la Recherche Stratégique, son dernier ouvrage, paru en mars 2021 chez Robert Laffont, est intitulé Guerre et eau. L’eau enjeu stratégique des conflits modernes.

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